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Quels impacts de la nouvelle mondialisation sur la fonction achat ?

Ronan HASCOËT, notre directeur pédagogique et membre du CNA, a eu le plaisir d'être interviewé sur le sujet suivant "Nouvelle mondialisation : analyse des impacts pour la fonction Achat ! Découvrez l'article ci dessous ! 
 

Source : CNA

Les trente dernières années ont été témoins de l’essor des échanges internationaux, avec comme fer de lance l’optimisation des chaînes de production, les coûts de revient et les prix de vente toujours plus bas. Ce phénomène - qualifié de « mondialisation » - a eu pour effet direct sur les entreprises une remodélisation de la chaîne de valeur des fonctions de gestion. La fonction Achats, en l’occurrence, a gagné une meilleure reconnaissance au sein des organisations. Mais c’était sans compter sur la crise du Covid, la guerre en Ukraine et l’inflation qui depuis deux ans instaurent un nouvel ordre économique mondial. Quelles formes peut prendre cette mondialisation nouvelle ? Comment la fonction Achats en sera-t-elle impactée ? 

C’est pour répondre à ces questions que se sont déroulés les débats du JEA « Nouvelle mondialisation : analyse des impacts pour la fonction Achat ! » organisé par le CoDir Île-de-France du Conseil National des Achats avec la participation de Jean GRANDCLERC, économiste, PHD, et Ronan HASCOËT, Directeur pédagogique, CDAF Formation. 

 

Pourquoi parle-t-on de nouvelle mondialisation et quelles en sont les différentes formes ? 

Début des années 90, la baisse des droits de douane et des taxes conduit à une libéralisation du marché des biens, des services et des flux financiers. De fait, les économies nationales s’ouvrent progressivement au marché mondial entraînant à la fois une interdépendance et une intensification de la concurrence entre les Etats. Durant cette période, la croissance économique est stable. On parle de mondialisation « heureuse ». Cette dernière prend malheureusement fin en 2020, car l’inflation galopante provoquée d’une part par la crise du Covid et d’autre part par la guerre en Ukraine est telle qu’une mutation de la mondialisation est inévitable. D’après Jean GRANDCLERC : « la mondialisation heureuse est terminée et aujourd'hui on a trois nouvelles formes possibles de mondialisation », qu’il nous explique par la suite. 

  • La première forme est la mondialisation fragmentée, en d’autres termes c’est une mondialisation où les échanges ne sont plus ouverts à tout le monde, mais s’effectuent entre pays de bloc ami ou entre pays de bloc ennemi. Puisque le commerce se fait entre pays du même bloc, toutes les productions qui se faisaient à l'extérieur sont relocalisées au sein de ce bloc. Comme exemple, on a le bloc de pays occidentaux – composé des Etats-Unis et de l’Europe de l’Ouest – ou encore le bloc asiatique – composé de la Chine, la Corée du Nord et du Pakistan. 
  • En parallèle des alliances de bloc se développe le scénario de la démondialisation ou relocalisation. C'est le fait pour les entreprises de rapatrier les chaînes de production dans les zones de consommation. A ces relocalisations s'ajoutent des mesures protectionnistes, à l’instar des hausses de tarifs douaniers, la multiplication des normes techniques, la course aux subventions qui s'incarne dans l'union européenne par le Plan industriel du pacte vert – des aides financières faites aux industries pour favoriser l'implantation de nouvelles usines dans les territoires subventionnés. Pour exemple, la France prévoit de relocaliser sur son territoire la production de batteries pour voitures électriques qui se fait jusqu’à présent en Chine. 
  • Le troisième scénario envisagé par Pascal LAMY, ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), est la slowbalisation. Il évoque le fait qu’on pourrait imaginer que la mondialisation demeure, mais qu’elle soit plus lente, car bien qu'il y ait une dislocation des chaînes d'approvisionnement, le marché des services reste tout de même très dynamique. Jean GRANDCLERC conclut en mettant en évidence le fait que les deux premiers scénarii ont des effets analogues, à savoir la réduction de la concurrence et la hausse des prix. Mais le troisième va quant à lui en sens inverse et paraît moins crédible que les deux autres. 

 

Quels sont les impacts de la nouvelle mondialisation sur la fonction achats ? 

Selon Ronan HASCOËT, c’est lors des grandes crises économiques que la fonction Achats a pu progresser, gagner en maturité et en reconnaissance. Le ralentissement que subit l’économie mondiale depuis deux ans en est un exemple concret. Son impact sur la fonction Achats peut s’articuler autour de quatre axes. 

  • En premier lieu, l’analyse du besoin : en réduisant les zones de sourcing, certains produits ou matières premières vont être restreints ou ne pourront plus être approvisionnés. Il faudra donc chercher des produits de substitution voire chercher à acheter non pas des produits ou services, mais des fonctionnalités. Ronan rappelle que c'est durant la phase d'analyse du besoin que 75 % des coûts sont définis, phase durant laquelle les acheteurs sont malheureusement peu impliqués. 
  • En deuxième, vient la gestion des risques amont : il va falloir s'attendre à des pays qui entrent dans le listing des pays ennemis et avec lesquels il sera plus difficile de commercer, voire des barrières protectionnistes qui vont limiter les filières d'approvisionnement qu'on avait initialement. Si on regarde les précédentes études du CNA et d'Agile-Buyer sur les attentes des entreprises envers la fonction Achats, on constate que la gestion des risques est généralement dans le TOP 3. Or au vu du contexte actuel les attentes sur ce critère vont devenir extrêmement fortes et il y a une réelle nécessité pour la fonction Achats de "muscler son jeu" sur cette logique de gestion des risques et de la formaliser encore plus. 
  • Le troisième axe est la relation fournisseur : ici on remarque un basculement du rapport de force en faveur des fournisseurs sur plusieurs marchés. Le volume d’achat n’est plus un élément suffisant pour faire pression sur les fournisseurs qui seront de plus en plus en capacité de choisir leurs clients. Gérer la relation fournisseur, contribuer à leur développement, mettre en place des mécanismes pour mieux partager la valeur créée sont déjà des éléments capitaux pour la fonction Achat qui vise la « séduction » des « meilleurs » fournisseurs. 
  • Le dernier axe est la RSE : si avant on était poussés par une logique de mondialisation pour aller chercher le prix le plus bas, aujourd’hui l’accent est mis par les organisations sur la part des achats locaux. Ronan illustre cela en disant : « J’ai le souvenir que dans les indicateurs Achats on me demandait la part d'Achats en "low costs country" et chaque année j'avais des objectifs toujours plus ambitieux, car on était poussés par des clients finaux qui voulaient profiter de bas prix. Mais aujourd’hui je me rends compte auprès de mes stagiaires que dans leurs organisations on leur demande une part des achats locaux. Donc, en moins de 15 ans on est passé d'un indicateur à son contraire ». 

 

En conclusion de ces débats, la nouvelle mondialisation semble s’installer dans le temps, tant les problématiques de l’inflation – principale résultante économique de la crise du Covid – et de la situation géopolitique actuelle sont loin d’être résolues. Cette période difficile est une opportunité pour la fonction Achats de renforcer son rôle stratégique au sein de l’entreprise, et pour les acheteurs de travailler en plus grande proximité avec les prescripteurs internes et les fournisseurs.